l’automne ; les jours de pluie ; les formes dans les nuages ; la cannelle ; light academia ; les fleurs séchées ; le crépitement des bougies ; le crépuscule d’hiver ; le chant des oiseaux ; les pommes caramélisées ; le bois qui grince ; les taches de peinture ; le patchwork ; les gants en laine ; les partitions froissées ; les biscuits sablés

les premiers mots peinent à être prononcés, et les phrases n’ont pas vraiment de sens, ne sont pas toujours complètes. flot de paroles qui ne suit aucun fil conducteur, difficultés évidentes à l’école. il comprend bien les choses pourtant dohyeon, mais ne parvient pas à communiquer. trouble de la parole dépisté assez tôt, on lui explique qu’il est dysphasique, et ça il ne comprend pas tout de suite ce que ça signifie. parce que dohyeon il aimerait être qualifié de super héros, de magicien parfois, de pirate certains jours. dohyeon il veut être un pompier, un acteur, un dompteur de lions ! alors on lui explique, on lui raconte que la dysphasie ce n’est pas un métier, ce n’est pas un super pouvoir non plus. que c’est un trouble structurel du langage oral, qu’il explique ses constructions de phrases atypiques et sa difficulté évidente à définir un concept ou une idée verbalement. que sa condition peut s’améliorer avec des séances d’orthophoniste, que tout ira bien.

mais tout ne va pas bien. dohyeon s’agace, désespère parfois, quand il n’arrive pas à se faire comprendre. souvent obligé de se débrouiller par lui-même à défaut de parvenir à exprimer ce dont il a besoin. et à l’école les enfants discutent, créent des liens. et à l’école les enfants rigolent, pointent du doigt. dohyeon rabaissé au rang de l’idiot de la classe car tous ignorent à quel point ses idées sont claires et pertinentes, là-haut dans sa tête. que même si la transmission jusqu’à ses lèvres est défectueuse, il est intelligent. mais en réalité il est surtout seul. isolé par les autres, enfermé dans un mutisme pour se protéger des moqueries. à quoi bon parler quand personne ne comprend ? quand personne n’écoute ?

et papa s’énerve parfois. quand il l’aide pour ses devoirs, que les réponses ne font pas toujours sens lorsque l’enfant les gribouille sur le papier. il n’est pas méchant papa, il est juste inquiet pour son fils, il craint pour son avenir et la frustration a parfois des airs de colère. maman ne le gronde pas, elle. mais elle le regarde avec des yeux tristes, et dohyeon il n’aime pas ça, non il n’aime pas la voir sans son grand sourire, celui qui étire ses traits fatigués quand il lui offre un dessin. et puis jamais bien loin, il y a doah. c’est avec sa cadette qu’il passe le plus de temps, et les deux enfants ont créé leur propre langage qui parfois se limite à des regards. doah est plus jeune et parle pourtant bien mieux que lui, mais elle a toujours su le comprendre. alors parfois c’est vrai, dohyeon la tient par la manche, lui demande de s’exprimer à sa place. c’est un peu elle la super-héroïne de la famille, du haut de ses quelques années et avec ses petites couettes sur la tête.

dohyeon il est amoureux des formes qui se dessinent dans les nuages, des petites lumières qui scintillent partout à noël. il est amoureux de la chaleur d’un plat cuisiné en hiver, et de ces gens qui lisent dans les parcs. et puis dohyeon il est amoureux de toutes ses personnes dans un entourage, avec une définition du mot peut-être différente de celle du dictionnaire. parce que le véritable amour, celui comme dans les films, il l’attend impatiemment. il y a cet ami dont la présence suffit à faire rosir ses joues, celui qui rend les minutes un peu plus longues quand il parle, avec qui il se sent bien. et puis il y a ce tatouage qui orne sa cuisse droite. des années déjà qu’il le porte, dessin apparu à l’aube de ses dix-huit ans. c’est une promesse qui est gravée dans sa chair : celle qu’il retrouvera un jour cette personne. oh qu’il a hâte, dohyeon, de lui conter combien il l’a attendu. oui qu’il a hâte, de l’aimer au delà de tout.

chanter l’a aidé à mieux former ses phrases, à ne pas oublier de mots. thérapie d’abord, loisir ensuite, puis enfin refuge. un dohyeon à peine adolescent qui économise pour s’offrir une guitare d’occasion -vieille et rayée, au vernis qui s’écaille par endroits. il s'entraîne, apprend, maîtrise. et elle lui vient d’un coup cette idée, un jour : celle de performer dans les rues de la ville. il est moins talentueux que les autres artistes qui envahissent cette ruelle le soir, c’est évident. son équipement est sommaire, sa voix l’abandonne parfois, mais qu’importe. il apprécie ces moments, coeur qui se gonfle de joie lorsqu’il parvient à faire fleurir des sourires dans le petit groupe qui l’observe. quelques billets parfois déposés dans la petite boite devant lui, bénéfices qui ne lui reviennent jamais à lui. sommes constamment utilisées pour acheter de la nourriture ou des plaids pour les animaux errants qui l’attendent chaque soir dans la rue. pour la vieille dame qui vend ses légumes sur un coin du trottoir. le besoin instinctif d’aider les autres à son échelle.

esprit qui divague au fil des rêveries, corps parfois épuisé qui doit tenir un rythme souvent intense. l’université comme un challenge constant, difficulté d’apprentissage qu’il se doit de dépasser pour ne pas perdre la bourse sans laquelle il ne pourrait plus étudier. travail nocturne dans une supérette pour subvenir à ses besoins sans être un poids pour ses parents dont la situation financière est parfois fragile. heures qu’il s’oblige avec grand plaisir à passer au café de sa petite soeur, parfois pour l’aider, parfois comme soutien émotionnel, à lui répéter à quel point il est fier d’elle. à lui rappeler qu’elle est incroyable, déterminée, forte. les journées bercées par une routine qui lui convient parfaitement. l’emploi du temps chargé lui évite de se laisser de temps de réfléchir. il n’est pas malheureux dohyeon, il est juste seul. mais ça ira, tout va bien. là dehors, sa moitié attend qu’il le trouve.