Sarang raccrocha son téléphone et se prit la tête dans les mains. Depuis la veille, il harcelait son agence pour pouvoir revenir travailler, mais même son manager avait cessé de répondre à ses appels. Il comprenait leurs réticences, en ce moment il avait vraiment une sale tronche, des bleus sur le torse, le dos, et un bien visible et bien violet sur le contour de son œil gauche. Résultat d’une bagarre qui était loin d’être la première pour lui, mais où il avait bien plus morflé que d’habitude. Il faut dire qu’il s’était retrouvé à un contre quatre. Heureusement qu’il faisait du MMA, sinon il se serait fait casser la gueule en règle. Il n’empêche que, même si tout le monde semblait penser qu’il avait besoin de repos, pour lui c’était tout l’inverse. Il fallait qu’il s’occupe pour ne pas ressasser en permanence les évènements de ces dernières semaines.

Tout avait commencé par un de ses anciens camarades de classe, quelqu’un qui était témoin de ce que Sarang faisait subir à certains autres enfants. Ce dernier le lui faisait  donc payer en lançant des piques sur sa petite taille ou son intelligence très relative. Ils en étaient venus aux mains plus d’une fois parce qu’ils ne pouvaient pas se blairer, et voilà que maintenant il ressurgissait. Sans aucun doute, son début de célébrité avait déclenché ça, peut-être était-il jaloux ou en colère de le voir réussir. En tout cas, il avait révélé sur les réseaux qu’il aimait les hommes.

Comme le dira plus tard dans une interview une de ses amies danseuses, Sarang aurait pu démentir. Tout son entourage, que ce soit sa famille ou ses collègues, était prêt à affirmer que c’était un mensonge. Certaines filles s’étaient même proposées pour jouer les fausses petites amies. Il avait refusé, préférant confirmer sur twitter que la nouvelle était vraie. Ces proches avaient insisté pour dire que c’était une forme de courage, mais lui commençait vraiment à penser que c’était encore une autre preuve de sa stupidité.

Le raz-de-marée déclenché par son coming-out avait surpris tout le monde, autant lui que son agence. Son nom et son histoire avaient circulé partout, il n’avait jamais été aussi connu de toute sa vie, et dans bon nombre de cas, les réactions étaient plutôt positives. Il avait reçu beaucoup de messages de soutien, et on avait salué sa franchise. Mais bien sûr, il y avait aussi le revers de la médaille. Une pluie de messages violents, de menaces, et d’invitations fleuries à mettre fin à sa carrière. Sarang fréquentait souvent des personnes bien plus connues que lui, la vision qu’il avait de sa propre célébrité était donc très relative, mais maintenant, il sentait bien qu’il était devenu une personnalité publique. On ne le jugeait pas seulement pour ce qu’il était, mais pour ce qu’il représentait.

Les choses auraient pu rester tolérables si elles s’étaient cantonnées à internet, mais ceux qui voulaient le détruire avaient visiblement le bras long et parvinrent à trouver son numéro de téléphone et son adresse. Sarang avait vite changé de numéro, mais maintenant qu’on savait dans quel quartier il vivait, il se sentait plus scruté que jamais, et entendait souvent des murmures dans son dos. Il en était à se demander s’il ne devenait pas parano quand il tomba sur les fameux quatre types. Alors qu’il rentrait chez lui, il avait surpris ces énergumènes qui s’amusaient à taguer sa porte. Une bagarre plutôt bordélique avait suivi, et s’était vite retrouvée diffusée un peu partout.

Par crainte de représailles, il était reparti chez ses parents le soir même. Un endroit plus sûr, et où il ne serait pas seul en cas de problème. Plus que jamais, on lui disait qu’il aurait dû mentir. En entendant ça, Sarang avait l’impression qu’il devait se sentir responsable de ce qu’il lui arrivait. Ce n’était pas le cas, il n’éprouvait aucun regret de s’être montré tel qu’il était. Tous les évènements qui avaient suivi le rendaient triste et désemparé, mais certainement pas honteux. Et puis ça allait bien finir par passer, non ? Sa plus profonde angoisse était d’avoir ruiné sa carrière, de se retrouver remisé au second plan par une industrie qui n’aimait pas prendre de risques. Après tous ses efforts, ce serait vraiment la chose la plus déprimante qu’il puisse lui arriver.

Sarang eut un soupir, la chambre où il avait grandi n’avait pas bougé d’un pouce depuis qu’il avait pris son envol. C’était un peu bizarre d’y dormir à nouveau. Il était presque l’heure de dîner, mais il ne se sentait pas la force de faire semblant de sourire pour calmer les inquiétudes de ses parents. Il savait que tout le monde avait peur pour lui depuis son agression de l’avant-veille, et il n’arrivait pas à faire face. Il passait le plus clair de son temps seul, et dehors. Ce soir-là, il quitta donc l’appartement pour aller traîner dans les rues. Plus que jamais, il aimait la nuit. Moins de monde, plus facile de passer inaperçu, et puis il ne dormait pas bien de toute façon. La nuit était déjà bien avancée quand il eut suffisamment faim pour passer les portes d’un 7-eleven.

Il se prit un simple plat tout prêt et un thé au melon, mais ne put pas s’empêcher de remarquer une bande de jeunes qui faisaient le plein de soju pour une soirée qui s’annonçait festive. En les voyant, il eut une hésitation, se demandant si l’alcool pouvait lui offrir une trêve. Il aurait donné cher pour arrêter de penser quelques heures, mais il savait qu’on ne réglait pas un problème avec un autre. Sarang n’avait jamais touché à ça, lui qui avait souffert de l’alcoolisme avant même de naître. Il savait qu’il était un peu comme un alcoolique sevré, même une petite quantité pouvait le faire sombrer.

Il sortit du magasin deux fois plus mal qu’en y entrant, en plus du harcèlement, son enfance, ses parents biologiques irresponsables, tous ses pires souvenirs refaisaient surface. Les larmes lui montèrent aux yeux et il traîna le pas sans trop savoir où il allait. Il aurait bien aimé trouver un banc dans un endroit où il n’y aurait personne, contempler les étoiles, mais les rues alentour étaient blindées de gens qui mangeaient et festoyaient ensemble. Sarang se sentit aussi loin d’eux que s’ils faisaient partie d’un autre plan d’existence. Il passa devant un grand type, et leva subitement le nez. Il ne comprit pourquoi qu’en voyant que ce n’était pas n’importe quel grand type. C’était Choi Taeho. Un bref coup d’œil alentour et il réalisa que le restaurant où il travaillait était quelque part dans le coin. La route à emprunter en partant de chez ses parents n’était pas la même, alors il n’avait pas réalisé que ses pas le menaient là.

« B’soir, Taeho. »

Il avait une petite voix, mais espérait sans grande conviction qu’on ne remarquerait pas qu’il pleurait encore à moitié. Entre ça, son coquard, et son pauvre dîner dans sa poche en plastique, le tableau devait être particulièrement misérable. En tout cas, Sarang comprenait mieux la réaction qu’avait eue Taeho la fois où il était venu lui parler. Après tout ce qu’il lui avait fait subir, ses excuses avaient dû sonner bien creux. Sans rien ajouter, il passa à côté de lui pour continuer son chemin. Il n’avait qu’une pensée. Faites qu’il se taise. Ce devait être suffisamment grisant pour lui d’assister en temps réel à sa déchéance, il ne se sentait pas les épaules pour supporter une raillerie de plus.

C’était comme un détail que l’on porte à son attention; insignifiant puis soudainement omniprésent, capturé au coin des yeux dans les scènes de son quotidien. Taeho n’avait ni pensé ni vu Sarang pendant de longues années, son bourreau relayé à un simple souvenir amer et tenu à distance. Puis il était revenu dans sa vie sans prévenir, le pavé métaphorique jeté dans une mare déjà secouée de légers trémous. Taeho s’était senti pris au piège dans une confrontation qu’il n’avait pas anticipée, dans un retour désagréable du passé qu’il rechignait à regarder droit dans les yeux. Des excuses et de belles paroles au bout des lèvres, Sarang s’était réinventé en une figure respectable, et Taeho n’avait trouvé aucune patiente ou volonté pour en apprécier les efforts; l’audace. Il l’avait chassé de ses mots et en avait ressenti toute la fatigue et la détresse. Il n’avait pas pensé à Sarang pendant des années entières et maintenant il était partout. Sur les lèvres de parfaits inconnus, sur le papier glacé de magazines ou encore relayés en centaines de pixels sur les écrans. Une vie sous les projecteurs pour quelqu’un qui ne méritait pas la moindre plateforme pour s’exprimer, qui ne méritait pas qu’on puisse le porter en modèle de quoique ce soit. Peut-être qu’il avait changé. Peut-être qu’il méritait une seconde chance, mais Taeho attendait toujours la sienne, incapable de trouver l’altruisme suffisant pour être autre chose qu’aigri et jaloux.

Il s’était efforcé de ne pas trop y penser après ça, de ne pas laisser la réflexion de Sarang le hanter à chaque fois qu’elle apparaissait sans crier garde. Taeho était dans le bus lorsque le patronyme de son ancien camarade de classe fit une nouvelle apparition, enveloppé dans des tonalités d’urgence et de scandale. Les deux filles devant lui étouffaient gloussements et commentaires, penchées sur leur téléphone, et c’est impuissant qu’il assista à toute leur conversation et les nombreuses rumeurs qui s’y trouvaient. Un coming-out, une confirmation, une bagarre. De quoi le surprendre, de quoi le laisser dans un état étrange entre malaise et perplexité et le faire céder à une curiosité malsaine une fois chez-lui. Entrer le nom de son ancien bully dans un moteur de recherche était une situation dans laquelle Taeho ne se serait jamais imaginé. Mais il y avait plus choquant, comme les récits ignobles relayés par internet. Une part de Taeho se serait imaginé satisfait de voir Sarang harcelé à son tour; un karma à retardement qu’il aurait pu observer avec un plaisir malsain. Mais du tout. Il ne le souhaitait à personne. Et cette personne qu’il s’était efforcé d’oublier et d’éviter gagnait, contre toute attente, un peu de sa sympathie. Assumer sa sexualité était plutôt brave étant donné sa profession, lui qui avait tout le loisir de le cacher pour garder sa fanbase et éviter tous les problèmes qui en découlent. Taeho était bien placé pour comprendre.

La chose lui resta en tête; confinée dans un coin de son esprit entre contemplation et regret discret. Peut-être aurait-il pu lui laisser le bénéfice du doute lors de leur dernière altercation, mais n’était-ce pas là que de la pitié? Maintenant qu’il souffrait sur la place publique alors il méritait son attention? Un peu oui, finalement. Et le destin semblait s’acharner lorsque, en rentrant du boulot, il le voit, les yeux humides et le visage tuméfié. Une simple salutation aux lèvres, il continue son chemin alors que Taeho l’observe, figé et mal à l’aise. Pendant une poignée de secondes, Taeho se décide à ne rien dire. Ils ne sont pas amis et il n’y a que pitié et humiliation pour les lier en cet instant. « Sarang? » propose-t-il à distance, gardé mais insistant. « Tu as besoin que j’appelle quelqu’un? ». Un ami, de la famille, un manager qui devrait être là pour prendre soin de sa charge. Bon sang, comment pouvait-il être là tout seul dans cet état? C’était ridicule qu’il se retrouve là avec un mec qui lui avait hurlé dessus et maudit de tous les noms il y a peu. « J’ai vu—», il se dandine d’un pied sur l’autre avant d’abandonner toute tentative de réconfort forcée et maladroite. « Tu devrais pas être dehors comme ça ».

@hwang sarang

Juste passer son chemin sans se retourner. Sarang essayait de se focaliser là-dessus, mais ça ne marchait pas très bien. Taeho n’avait même pas besoin d’ouvrir la bouche au final, il s’imaginait de lui-même tout ce à quoi il pouvait penser. La sensation était atroce, ça lui donnait presque la nausée. Il avait souvent ressenti ça depuis le début de ce scandale, l’impression d’être hypervigilant, même dans les moments calmes. Toujours à se demander d’où le prochain coup allait venir. C’était vraiment comme ça que s’étaient senties ses jeunes victimes ? Taeho ne l’avait pas pardonné, mais maintenant il ne se pardonnait plus lui-même. Celui qu’il était adolescent lui apparaissait comme un étranger avec qui il ne voulait plus avoir aucun lien. Malheureusement, ce n’était pas comme s’il pouvait s’en débarrasser.

Comme il s’en était douté, Taeho ne se contenta pas de poursuivre sagement sa route. Quand il entendit sa voix, il ferma brièvement les yeux. Il s’attendait au pire, mais ses paroles furent très loin des railleries qu’il avait imaginées, et c’est ce qui le fit s’arrêter.

« Mais qu’est-ce que tu racontes ? »

Sarang se retourna pour le regarder, il n’était pas en colère, juste surpris et un tantinet méfiant. En était-il vraiment à ce point-là ? À voir un type qui avait refusé de lui parler et l’avait traité de connard il y a peu lui tendre la main ? Non, il n’arrivait pas à se dire que c’était bien ce qui était en train de se passer. Taeho devait avoir quelque chose en tête, il voulait sûrement lui faire baisser sa garde. Peut-être pour frapper plus fort ensuite, ou pour satisfaire sa curiosité et entendre de première main le récit de ce qu’il s’était passé. J’ai vu, qu’il avait commencé à dire. Il n’était pas allé au bout de sa phrase et n’en avait pas eu besoin, ils savaient tous les deux de quoi il était question.

« J’ai pas besoin d’aide. P… Pourquoi tu …? »

Les deux derniers mots n’étaient pas prévus. C’était plus fort que lui. Malgré sa méfiance, il avait besoin de comprendre le comportement du jeune homme. Le Taeho de ce soir était si différent de celui qu’il avait croisé l’autre jour qu’on aurait dit une autre personne. C’était beaucoup trop étrange pour qu’il se taise. Était-ce là son vrai visage ? Un être capable de tendre la main même à quelqu’un comme lui ? Si c’était vrai, ça rendait le tout encore pire. C’en était presque insupportable. Sarang fit quelques pas de plus pour s’éloigner, mais fit brutalement volte-face une fois encore.

« Je m’en rendais pas compte. Du mal que je faisais. Si au moins tu pouvais croire ça. »

Même si les apparences jouaient contre lui, Sarang n’avait jamais été quelqu’un de réellement mauvais. Il avait souffert de négligence, d’abandon, d’un retard dans toutes sortes de domaines. D’une injustice, s’il devait le dire en un mot. On ne lui avait pas donné les mêmes chances qu’aux autres. Alors oui, pendant un moment, ça lui avait fait du bien d’être le petit chefaillon d’une bande d’imbéciles. D’avoir de l’attention et un semblant de pouvoir sur les autres. Il n’avait pas vu plus loin que ça à l’époque. C’était regrettable, mais heureusement il avait de bien plus belles facettes à offrir.

Il aurait dû s’y attendre; le réflexe agressif d’une bête meurtrie souhaitant panser ses blessures. Mais Taeho n’avait jamais été le plus perspicace, trop impulsif pour peser le pour et le contre d’une décision; même une aussi délicate que la confrontation entre lui et son bourreau d’enfance. Taeho avait parfaitement conscience du tableau qu’il représentait : le karma personnifié sur sa route, la personne idéale pour enfoncer le clou, le battre alors qu’il était au sol, prononcer les mots tant redoutés “tu vois ce que ça fait maintenant” et s’en réjouir. Il aurait pu, cela aurait été si facile. Taeho n’était pas un saint et une part de lui aurait souhaité conjurer la noirceur suffisante pour se venger de nombreux tourments passés. Il faut croire qu’il lui reste quelques principes.

Sarang, sans surprise, ne pouvait que mettre en question son attitude et Taeho haussa une épaule, les mains enfoncées dans les poches. C’est un regard méfiant que son ancien camarade de classe leva vers lui et il ne pouvait lui reprocher étant donné l’état de leur dernière conversation. C’est un sourcil sceptique qu’il leva sous les paroles de Sarang, faisant tout un spectacle de le dévisager de haut en bas. « Vraiment? » railla-t-il. Il ne voulait pas être condescendant, mais c’était plus fort que lui de réfuter ses mots. « On dirait pas…», pas méchant pour autant, il comprenait bien le besoin viscéral de se raccrocher à sa fierté lorsque tout le reste semblait tomber en morceaux. Sarang entama une amorce de question, et Taeho baissa un instant les yeux. Pourquoi, en effet, Taeho n’était pas bien sûr de la réponse. Mais Sarang ne semblait pas attendre une réponse, lui tournant le dos avant de s’éloigner. Taeho n’était pas sûr d’avoir l’altruisme suffisant pour lui courir après et imposer son aide, mais Sarang fit volte face avant qu’il puisse débattre de la bonne chose à faire. Le sujet soudain de leur altercation passée lui fit l’effet d’une claque. Les mots eux-mêmes, encore plus. Il n’avait pourtant pas envie d’en parler, pas plus qu’au restaurant. Invoquer la colère provoquée par ces souvenirs lui semblait aussi facile qu’un claquement de doigt, et rien de bon ne pouvait naître en cet instant d’un changement d’attitude de sa part. Blâmer Sarang était facile; le pardonner, bien moins. Un battement passa avant qu’il ne lève les yeux pour croiser son regard. « Je te crois » finit-il par dire, déglutissant sous le poids des mots. Sarang n’avait été qu’un gamin après tout, idiot et méchant et influençable, et ce qui lui arrivait en cet instant n’effacerait jamais ce qu’avait subit Taeho. Mais qu’est ce qu’il gagnait à s’acharner?  « Tu ne mérites pas non plus ce qui t’arrives » dit-il, encore bousculé par les récits immondes relayés par les réseaux sociaux. « Tu aurais pu tout réfuter… », à l’inverse il s’était maintenu droit sur ses pieds, assumant des faits prêts à le blesser.

@hwang sarang

On dirait pas qu’il venait de lui lâcher. S’il avait entendu ça de la bouche d’un ami, Sarang aurait sûrement éclaté de rire, lui et sa gueule ravagée. Là, il se contenta de retrousser ses lèvres sans répondre, d’essayer de sauver les apparences. En admettant qu’il reste quelque chose à sauver de ce côté-là.

Sarang aurait pu partir, mais il avait fallu qu’il revienne sur leur précédente conversation. Il se rendait compte maintenant qu’il avait pris le sujet avec une grande désinvolture, même si sa démarche était sincère à la base. La colère de Taeho, il la comprenait parfaitement aujourd’hui. En le voyant lui tendre la main maintenant, ça avait été plus fort que lui. Pas sûr qu’il ait pu faire preuve du même altruisme en pareille situation. Et son camarade continua de l’étonner avec ses dernières paroles. Il ne méritait pas ça ? Même lui avait fini par voir un coup de karma dans la situation qu’il était en train de vivre. Il n’était pas du genre superstitieux, mais comme beaucoup de gens, il lui arrivait de voir des liens ou des signes, qui se confirmaient ou pas. Dans le fond, il savait que personne ne méritait de vivre ce qu’il était en train de traverser, mais son passé faisait quand même flotter un doux parfum d’ironie dans tout ça.

« Ouais, j’aurais pu, j’aurais pu… »

Sarang marmonna dans sa barbe inexistante avant de tourner vers Taeho un regard des plus résolu.

« Oui, mais non. » Il leva les bras d’un air désabusé. « C’est vrai, je suis homo. Je le sais depuis tout petit. Et alors ? C’est quoi le rapport avec la musique ? »

C’était bizarre. Depuis des jours, Sarang gardait pour lui ses pensées, devant ses proches, ses amis, son manager, tous ces gens qui voulaient le protéger en essayant d’étouffer l’affaire au plus vite avaient aussi étouffé ses sentiments. S’il se montrait combatif, s’il répondait, ça pourrait faire durer la crise, et personne dans son entourage ne voulait de ça. Du coup, c’était là, dans cette rue assombrie, devant quelqu’un qu’il avait lui-même fait souffrir, que le barrage cédait, libérant sa parole. Alors qu’il s’était éloigné jusque-là, il revint vers Taeho, la mine toujours aussi déterminée.

« Je suis loin d’être le seul, tu sais, j’en connais d’autres. Je vais pas donner de noms bien sûr, de toute façon, on s’en fout. C’est pas juste le problème de l’industrie musicale, on retrouve ça partout. T’imagine si t’étais gay ou bi et que tu devais le cacher pour garder ton job ? C’est ridicule. » Il hocha la tête pour lui-même. « Si c’était à refaire, je le referais. C’est pas moi le problème. Qu’ils viennent me péter la gueule à nouveau. »

Même lui comprenait bien qu’il s’était un peu emballé, à ce stade. Mais après tout, ça restait un peu mieux qu’un silence gênant ou un nouveau dialogue de sourds. Sarang se passa une main dans ses cheveux, un léger sourire sur les lèvres.

« Je sais pas pourquoi je te raconte tout ça. La vie est bizarre des fois. » Ses yeux se baissèrent sur ses chaussures, il remua du pied un caillou qui traînait là. « C’était gentil. De vouloir m’aider, je veux dire… t’es… ’fin, t’as l’air d’être un chic type. »