i feel like i was born to love you

elle avait huit ans lorsqu'elle s'est souvenu. c'est revenu, comme un vague qui s'écrase sur le sable brûlant. une journée d'été qui s'achève, l'air lourd et humide. elle avait huit ans lorsqu'elle s'est souvenu, c'était une caresse sur sa joue. elle se revoyait, dans une enveloppe corporelle différente, comme une inconnue. choi mari. elle était belle et gracieuse, dans des étoffes luxueuses.

des flashs qui défilent devant ses yeux, d'une vie précédente, deux siècles auparavant. et puis encore une autre, et une autre. tout lui est revenu d'un seul coup, assenant un coup de massue. subitement, noeul est devenue une autre personne, elle savait mieux parler, mieux se tenir. on la comparait en riant à des grands sages, lui attribuant toutes les qualités de ce monde.

elle avait déjà vécu neuf vies auparavant. et elle se souvenait dans les moindres détails de chacune de ses vies, au fil du temps. au bout de la cinquième, elle avait supplié le ciel de la laisser enfin reposer en paix, puisque rien ne pouvait l'animer ; elle avait déjà tout fait, tout essayé. dans sa troisième vie, elle avait voulu retrouver sa famille précédente, et s'était faite brûlée en tant que sorcière. elle avait été artiste et pauvre, sage et respectée.

et puis était venue sa neuvième vie. c'était certainement la plus belle de toute, car elle y avait connu l'amour de sa vie. une âme soeur, comme elle l'avait appris dans sa quatrième vie. choi mari était la fille unique d'un général de guerre, sa mère était décédée en couche, laissant béante la plaie de ne pas avoir d'héritier masculin. mais mari était aimée de son père, bien que ce dernier fût souvent absent de la demeure familiale, allant de bataille en combat, revenant triomphant de guerres.

bien qu'absent, il ne laissait jamais sa fille sans compagnie, payant plusieurs serviteurs pour qu'ils servent mari à toute heure du jour et de la nuit. et ces derniers aimaient tous la jeune femme d'un amour filial, puisqu'elle était sage dans ses conseils, savait se tenir et se maîtriser. c'était la maîtresse de maison parfaite, celle que tout le monde aurait voulu servir dans le village.

mais mari avait sa préférée. de ses dames de compagnie, c'était yeona qu'elle préférait. la première fois qu'elle l'avait vu, elle se souvenait que yeona lui avait tenu tête, alors même que mari avait raison. amusée par cette audace, elle avait pris un certain intérêt à cette femme qui avait certainement le même âge qu'elle. elle prenait plaisir à la faire rougir, à lire silencieusement en sa présence, à l'écouter parler de son village natal.

mari avait décidé lors de sa quatrième vie que l'amour n'existait probablement pas pour les gens comme elle, ceux qui se souviennent de leurs vies antérieures. parce qu'ils avaient connu les déceptions, et qu'ils n'avaient plus grand chose à apprendre. l'amour était devenu une utopie qu'elle ne pouvait se permettre - et pourtant, yeona lui avait prouvé qu'elle avait tort.

c'était une première, mais mari avait accepté la leçon d'un sourire en coin, et elle avait décidé de rester avec yeona, le plus longtemps possible. elle aurait une vie calme, au moins, dans celle-ci, elle était aisée et en sécurité. aucune crainte n'était imminente, et le repos était facile à trouver. yeona apportait une sorte de quiétude, et en même temps, des pics d'adrénaline qui donnait enfin un certain sens à la vie de mari, qui peinait encore à comprendre pourquoi elle ne pouvait oublier ses vies précédentes.

c'était une forme de punition, à ses yeux. parce que les peines restaient gravées dans son coeur, les plaies étaient béantes. même si elle avait, au bout de la troisième vie, réussit à calmer ses émotions, devenant presque un modèle de sagesse, et tout à la fois une encyclopédie vivante pour contourner la fourberie de l'être humain.

la neuvième vie était la plus belle, parce que yeona était à ses côtés. l'amour était des plus discrets, quelque chose que personne n'osait avouer. on savait que mari ne cherchait pas à se marier dans les plus brefs délais, mais l'on n'osait dire à voix haute qu'elle pourrait en réalité vivre une idylle avec yeona. alors même que les deux étaient toujours ensemble, et que chaque seconde séparée était un véritable supplice pour mari.

elle connaissait son visage par coeur, chaque détail. elle la dessinait souvent dans ses rêves, traçant son sourire et la manière dont ses yeux se plissaient. mais elle ne pouvait lui demander si son affliction aurait pu être réciproque. tout était simplement un doux rêve duquel elle serait réveillée un jour par son paternel.

mais noeul s'était souvenue de cette fois où, timidement, elle avait pris son envol, osant frôler la joue de yeona de ses lèvres. son coeur avait battu la chamade, comme s'il allait exploser à cet instant-même. et son faciès entier s'était contorsionné dans u sourire immense lorsque le baiser fût réciproqué, leurs lèvres trouvant leurs jumelles, appréciant avec une maladresse enfantine cet amour qu'elles savaient enfin partagé.

noeul n'avait que huit ans mais son coeur était déjà déterminé a retrouver la trace de cette âme qui avait pris part à la sienne. mari avait aimé sans aucune limite yeona,
cachant cet amour à tous, pour le vivre le plus longtemps possible. mari était prudente, mais noeul était plus fougueuse, désireuse de revivre cet amour, de la retrouver à tout prix. parce que l'époque n'était plus la même, noeul savait désormais que leur amour serait possible, qu'il pourrait être rêvélé au grand jour et atteindre les plus beaux sommets.

un seul obstacle se dressait désormais sur son chemin, et ce n'était pas le moindre des obstacles. parce que si mari connaissait par coeur le visage de yeona, noeul n'avait aucune idée de qui pourrait être yeona dans cette vie, et encore moins si elle pourrait à nouveau exister dans la même temporalité qu'elle-même.

noeul était laissée dans cette vie sans aucune réponse. une dixième existence sans savoir si elle serait graciée de l'amour le plus profond qu'elle n'aurait pu connaître un jour.

et elle aurait pu les chercher, ces réponses. elle aurait pu avoir les moyens, ne serait-ce que financiers, de trouver la trace de yeona. shim yeona ... à quoi pourrait-elle ressembler aujourd'hui ? quel pourrait être son nom ?

au lendemain de ses huit ans, au lendemain de cette vague de souvenirs presque insoutenable, ses parents déclarent faillite. leur entreprise s'est écroulée dans la nuit, diront-ils, alors que cela aurait été l'affaire de mois, en réalité. ils ne l'aurait pas vu venir, mais la bourse si. du jour au lendemain, le niveau de vie des im s'est effondré, passant d'une famille plutôt aisée à un foyer pauvre, devant déménager dans un taudis en sous-sol.

papa et maman sombrent dans l'alcool, et noeul assiste impuissante à cette descente aux enfers. elle n'a que huit ans, et elle ne peut pas lutter. alors elle se dit que c'est peine perdue, et qu'elle devrait uniquement se concentrer sur le fait de grandir convenablement pour avoir l'espoir de retrouver yeona.

alors elle ignore les railleries à l'école, avant de se retrouver dans des milieux tout aussi défavorisés que le sien. les vêtements troués sont ignorés, mais son visage est souvent blafard et couvert de poussière. elle mange peu, mais elle est intelligente et réussit plutôt bien à l'école, grâce au savoir de ses vies passées. son frère se décidera à voler les moindres centimes qu'elle réussit à mettre de côté, affirmant qu'une gamine n'aurait pas besoin d'argent, de toute manière.

à quinze ans, elle envoie sa candidature pour intégrer un lycée à yecheon, décidant de quitter busan. et quand elle est acceptée, elle s'en ira sans un au revoir de ce foyer. c'est son oncle et sa tante qui la recueilleront, et elle ne saura même pas comment elle aura réussit à retrouver leur trace. sa cousine, aori, prend une place de soeur dans sa vie, alors même qu'elle pourrait être elle-même sa grande soeur spirituelle. elle trouvera immédiatement des petits jobs afin de ne pas être une charge pour sa nouvelle famille, n'acceptant que le strict minimum de leur part. noeul réussit tout de même sans problème à l'école, mais son caractère effacé la fait souvent se tenir à l'écart des autres élèves. ils ne sont que des enfants, alors qu'elle ...

et parce qu'elle s'ennuie toujours de cette vie qui semble s'éterniser sans la présence de yeona à ses côtés, noeul se décidera à étudier le cinéma. parce qu'elle s'était rapidement fascinée par le septième art dès son plus jeune âge, devant arrêter son apprentissage à cause de la pauvreté qui s'était abattue sur elle. c'était une décision d'en apprendre toujours un peu plus - pour une potentielle future vie, sait-on jamais - et de faire quelque chose d'amusant qui l'avait animée. noeul voulait simplement d'une vie moins banale, tout en se fondant toujours un peu dans le décor.

noeul s'en voudra de se découvrir une attirance pour cette autre étudiante à l'école d'art. inexplicablement, elle la trouvera belle, et agira comme elle avait pu agir avec yeona. mais la pensée de yeona ne quittera jamais réellement son esprit, et noeul ne souhaite qu'une chose, c'est de retrouver son âme soeur.

et elle se souvient de cette quatrième vie, où le songe des âmes soeurs s'était dissipé; elle avait décidé de ne plus y croire, lorsqu'elle était chang hyeongsoo, fils de marchand. hyeongsoo avait épousé une autre roturière et avait vécu une vie paisible, bien que pratiquant un labeur acharné. hyeongsoo avait compris que l'amour véritable ne saurait exister, alors même que ses enfants étaient choyés.

le ciel s'était, semble-t-il, acharné sur l'âme de noeul, lorsqu'il décidait, encore et encore, de la faire se réincarner. son âme était torturé par ce qu'elle avait pu voir, lu, entendre, faire. mais les souvenirs restaient, toujours. à huit ou neuf ans, à chaque fois, l'histoire se répétait - cette impression de vivre dans une multitude d'univers en même temps. de n'être pas qu'une, mais une centaine, dans des mondes parallèles. plus rien ne semble linéaire, à ce moment : aujourd'hui devient hier, et demain c'est aujourd'hui.

hyeongsoo est devenu soonok, et soonok a rapidement laissé place à minami - seule réincarnation qui n'était pas exclusivement coréenne. minami était simple petite couturière, ayant l'honneur de servir la famille impériale japonaise, se distinguant par cette capacité d'éloquence que l'on ne lui aurait pas prêté.

mais mari demeurait sa vie préférée, sans aucun doute. elle pouvait encore dessiner de mémoire le visage de yeona, chanter sa chanson préférée, et écrire les poèmes qui la faisant tant rêver. et c'en était ridicule, cette obsession avec sa vie précédente, avec cette dame de compagnie. mais elle ne pouvait tout simplement pas oublier que son coeur battait la chamade à ses côtés, qu'une envie irresistible de l'embrassait la prenait aux tripes lorsqu'elles se retrouvaient seules.

habitude malsaine que de penser tous les soirs au sourire de yeona. de se dire qu'elle ne vit que pour la retrouver, désormais. derrière sa caméra, elle s'entraîne à la faire étinceler, parce qu'elle sera belle à ses yeux dans cette vie aussi. il suffirait seulement de la retrouver - de pouvoir enfin découvrir son nouveau faciès.

noeul prépare leurs retrouvailles, nerveusement. hâtive de retrouver sa trace, elle ne pense pas encore à la peur qui la paralysera lorsqu'elle atteindra son but. qu'est-ce qu'elle pourrait lui dire, lorsque cela arrivera ? tu m'as manqué ? je t'aime ? elle paraîtra folle, tout simplement. ce n'est pas comme si yeona se souviendrait de sa vie précédente, ou qu'elle pourrait comprendre.

condamnée à rechercher une étrangère, et à vouer son âme toute entière à une entité qui ne se souviendra pas de leur amour éternel.