Tw* trouble psychique (cyclothymie)

Ces derniers jours sont difficiles.  Revoir son jumeau, pouvoir lui parler, ça lui a fait du bien le temps que ça a duré. Mais ensuite entre panique, honte et culpabilité, Do s’est perdu dans ce qu’il ressentait et tout ce qui lui passait par la tête. Et comme il n’a pas beaucoup de chance, ça a coïncidé avec un épisode dépressif. Il s’est terré dans une ruelle, sa tente entre celles d’autres personnes qui tout comme lui n’on autre toit. Et pendant près d’une semaine, il y est resté. Allongé sur une couverture, deux pulls et sa veste sur le dos. L’avantage, quand ça ne va pas, c’est qu’il ne pense ni à manger ni à boire alors bien qu’il avait seulement quelques biscuits en réserve et une grande bouteille d’eau, ça a suffi.

Il se sent toujours aussi mal. Les pieds qui trainent, la fatigue qui pèse sur ses épaules. Quand ça lui arrivait, avant, il était obligé de se lever car jamais ça ne serait passé inaperçu qu’il n’allait pas bien. Aujourd’hui il peut se permettre de ne plus bouger d’un endroit pendant plusieurs jours. Mais il est obligé de se lever pour trouver de quoi manger. Alors, d’humeur plus que maussade, il se dit qu’il peut se faire plaisir. Ne pas voler un paquet de biscuit au supermarché du coin, mais peut-être trouver quelque chose d’autre. De plus frais, de moins industrielle. C’est pour ça qu’il vient ici, dans ce quartier. Qu’il se perd de rue en rue, avant d’arriver derrière le restaurant ou travail un cuisinier qui de temps en temps lui donne un petit quelque chose. Il s’installe contre le mur, se laisse glisser jusqu’au sol, son sac à dos à côté de lui. La jour laisse place, la soirée commence. Les rires des clients s’entendent jusqu’à l’extérieur. Do est recroquevillé sur lui-même, les yeux fermé, en attendant qu’il entende une porte s’ouvrir. Tôt ou tard il faut bien sortir une poubelle et alors peut-être qu’il se fera remarquer.

Une énième remarque de son patron et Taeho avait heureusement atteint l'équilibre parfait entre fureur discrète et apathie pour éviter de lui répondre. Tantôt tolérable lorsqu’il était bien luné, tantôt insupportable à trouver toutes les excuses du monde pour piocher dans son salaire, son boss avait au moins l’avantage de lui laisser plus ou moins carte blanche en cuisine. Si l’établissement restait sur des classiques attendus d’un restaurant familial, Taeho appréciait d’avoir un peu de marge de manœuvre vis-à-vis du menu. Les bénéfices s’arrêtaient là. L’impulsion de chercher ailleurs lui traversait parfois l’esprit, mais il n’avait pas le courage de se relancer dans des démarches. Ça faisait l’affaire et Taeho se satisfaisait suffisamment de cette routine. Un enchaînement d’habitudes, voilà bien qui résumait son quotidien. C’est d’ailleurs dans cette veine qu’il préparait un ensemble de mets dont l’origine n’existait sur aucun bon de commande. Ses collègues avaient dû remarquer la chose mais aucune question n’avait été posée; aucune dénonciation non plus. Une approbation silencieuse ou une indifférence assumée qui poussait Taeho à continuer cette petite faveur qui ne demandait qu’une poignée de temps et de marchandises. Rien qu’il ne retirait de la bouche d’une autre personne. S’il n’en faisait pas don - s’il n’y avait personne à l’attendre derrière la porte -, alors il en ferait son dîner. Après avoir pris soin d’emballer convenablement sa préparation, Taeho annonça qu’il allait en pause avant de se diriger vers l’arrière de l’établissement. Là, recroquevillé contre le mur, se tenait Doyoung. « Hey » le salua-t-il brièvement; cette figure fatiguée mais résiliente, bien trop jeune pour être privé d’un toit au-dessus de sa tête. Si Taeho connaissait la difficulté financière, il n’avait jamais eu de mal à se nourrir, jamais eu à redouter la tombée de la nuit. C’est sans doute pourquoi il avait tenté sa chance et offert un repas à Doyoung, misant sur le fait que son geste n’allait ni l’humilier ni l’énerver. « Comment tu vas? » demanda-t-il en s’approchant; une question idiote dont la réponse se lisait dans les traits tirés et las de son visage. Il lui tendit sa composition; un assortiment terriblement classique de restes faits en trop grande quantité, mais qui allaient lui remplir l’estomac. « Tu n’as pas d’allergie, n’est-ce pas? » demanda-t-il soudainement, frappé par la bêtise de ne lui avoir jamais demandé.