Faim.

Un mot, quatre lettres. C’est vraiment ridicule, mais il est hanté par un mot et quatre lettres. Doyoung n’a d’autre choix que d’ouvrir les yeux. Il est allongé sur un muret, la tête dans les nuages. Mais le ciel est bleu et il n’y a pas de nuages. Ça le perturbe, il n’a pas eu l’impression de s’endormir mais il a certainement dû faire ça parce que quand il s’était allongé, il y avait beaucoup de nuages blancs dans le ciel. Maintenant plus rien.

Ça le distrait quelques secondes avant que son estomac ne fasse entendre son mécontentement. Un soupire s’échappe d’entre ses lèvres alors qu’il se relève. Il a mal au dos d’avoir dormit là mais il fait comme si de rien n’était, attrapant son sac à dos au passage qu’il passe au-dessus de son épaule. D’un pas nonchalant, il s’éloigne tranquillement. Mais au plus il marche, au plus il se rend compte qu’il est fatigué, qu’il a les jambes qui tremblent légèrement et mince, c’est quand la dernière fois qu’il a mangé ? Hier ? Non. Avant-hier.

Fouillant son sac à dos, il ne trouve qu’un petit biscuit emballé qu’il avale d’aussi tôt avant de boire une gorgée de sa bouteille d’eau presque vide. Il n’y a pas trois mille solutions, il est temps de trouver un petit service à rendre. Sauf qu’il doit être presque 16h, trop tard et trop tôt à la fois. N’étant pas loin des rues les plus fréquentés du quartier, il se décide alors à opter à faire la manche. Il ne lui faut pas longtemps avant de s’accroupir contre un mur, posant sa casquette au sol pour que les gens y déposent un petit quelque chose. Il ne fait pas très froid, mais assez pour qu’il enfuit ses mains dans les poches de son sweat et qu’il s’assoit en pliant les jambes. De quoi garder un peu de son énergie pour aller s’acheter quelque chose dès qu’il y aura de quoi payer. Il entend au loin une guitare, un chanteur, sans doute un autre sans abris qui chante pour recevoir davantage.

C’est dommage, le chant n’a jamais été son fort. Et si seulement lors de sa fuite il avait pensé à emporter son violon, mais non. Idiot.

Son seul avantage c’est sans doute qu’il fait encore relativement jeune, assez pour que des personnes plus âgées et biens intentionnées s’arrêtent et lui donnent un petit quelque chose, tout en lui lançant un regard emplit d’empathie. Il n’en veut pas, de leur pitié. De leurs cinq secondes de bontés à lui accorder moins d’une minute de leur temps pour s’assurer qu’il ne crève pas de faim. Mais il est obligé de leur offrir un léger sourire à chaque fois. Jusqu’à ce que son ventre ne se met à gargouiller douloureusement et qu’il attrape sa casquette pour y compter son argent. Bon, on oublie jusqu’à même une baguette mais il y a de quoi rentrer dans un supermarché et acheter les biscuits les meilleurs marchés du rayon.

Concentré sur les pièces qu’il compte, comme si les compter une troisième fois augmentera le montant par magie, il ne voit pas un visage familier s’arrêter près de lui.

le temps est dégagé aujourd’hui, le froid n’est pas aussi mordant que prévu, c’est pourquoi le grand gaillard à la tignasse bleue s’est lancé dans les rues de yecheon avec son chien. les deux créatures évoluent lentement, profitent de la présence l’un de l’autre pour apprécier ce moment privilégié. sunwoo a gardé ses écouteurs vissés dans ses oreilles, il sait qu’il peut stopper les aventures du duo avec un simple claquement de langue contre son palais, il est prêt à dégainer son carnet de notes à tout moment, si la Muse de l’inspiration vient à le visiter n’important quand. ce n’est qu’après de longues minutes de marche que le maître et son doberman débouchent sur une ruelle un peu plus passante. l’animal n’a pas besoin de laisse, il s’est naturellement rapproché de l’adulte qui prend son temps pour observer le paysage qui s’offre à lui. il cherche à capter les histoires, les visages, entendre les éclats de voix, déceler les personnalités d’un simple coup d’œil. et alors que cette session s’apprête à être qualifiée d’infructueuse, une silhouette familière capte l’attention du musicien.

il l’observe ainsi tranquillement au loin, sans rien dire. sunwoo n’est pas réellement doué pour la psychanalyse, mais il essaye d’imaginer les raisons farfelues qui ont poussées le jeune homme à quitter son foyer sans rien emporter que le strict minimum avec lui. il lui arrive parfois de se demander s’il aurait eu le courage de faire la même chose pour quitter son propre foyer toxique, s’il n’y avait pas eu jiwoo à surveiller et à protéger, si sa chère et tendre mère n’avait été qu’un légume et qu’elle n’aurait jamais été un élément clé pour la délivrance du foyer. le musicien sait qu’il ne peut pas se mettre à la place de celui qu’il guette en silence. il imagine aussi qu’il ne voudra, encore, pas de son hospitalité, et ce n’est pas faute d’avoir proposé de l’aider à chaque fois qu’ils se sont croisés. non, cette fois ci, le garçon se doit d’être plus malin, et son stratagème doit être naturel, simplement pour que ses intentions soient bien comprises.

alors le jeune homme sert ses poings sur les lanières de son sac à dos et s’élance au travers de la rue, talonné de près par le grand doberman, avant de s’arrêter à hauteur de celui qui est recroquevillé sur lui même.

" oh doyoung ! salut ! " s’exclame t-il alors avec un sourire. il s’arrête à sa hauteur, en veillant bien à garder ses mains sur son sac pour ne témoigner d’aucun signe de dangerosité, du coin de l’œil il voit son chien s’animer en découvrant une figure connue. " cerbère, stay. " il ne peut risquer de brusquer sa rencontre, cela n’est évidemment pas son objectif. il repose vite son attention sur le jeune homme devant lui. " je suis content de te croiser " lui dit-il alors sincèrement. " on marche avec cerbère depuis un bail comme il fait assez beau et on commençait sérieusement à crever la dalle, et comme je suis bien content de te revoir, ça te dirait de manger un truc avec nous ? j’ai vu des fois truck un peu plus loin qui font de la cuisine exotique et ça a l’air sacrément bon ! "

la réalité est telle que sunwoo n’a pas spécialement faim comme il est sorti avec son chien justement pour faire une balade digestive, mais qu’il espère que c’est une proposition honorable pour l’aider à lui glisser de la nourriture sous la dent. il espère ne pas avoir été trop envahissant, mais le garçon commence à prier intérieurement pour que son interlocuteur lui dise oui

Il compte attentivement ses pièces, Doyoung. Comme s’il avait du mal à le faire, comme s’il y un an de cela il n’avait pas géré des sommes bien plus importantes. Et il est tellement concentré qu’il ne le voit pas tout de suite. C’est les pattes du chiens qui l’interpellent, pendant que l’animal trépigne sur place avant que son propriétaire ne dise qu’il doit se calmer. Do ne lâche pas des yeux la bête, fermant son poing où se trouvent ses pièces et le ramenant lentement contre lui. Comme si on allait lui voler ses quelques pièces.

En tout cas, ce n’est pas le jeune homme devant lui que ça intéresserait. Mais c’est plus fort que lui, Do est méfiant depuis qu’il vit dans la rue et peu importe si en face on porte des baskets toutes abimées ou d’une marque qui vaux cher. « Salut. » Les mots passent à peine ses lèvres dans un murmure presque inaudible. Il se relève lentement, casquette en main et sac à dos dont la lanière est enroulée autour de son avant-bras. Il n’a pas envie de rester à la même hauteur que le chien, il ne manquerait plus que la bête lui saute dessus. Et lui lèche le visage, il est pas bien méchant, même s’il a l’air tout droit sortit d’un film de l’agent 007. Doyoung ne peut s’empêcher de plisser des yeux en entendant la proposition de l’autre jeune homme.

Il le croit stupide ?

Il reconnaît l’offre pour ce qu’elle est, et le refus est là, au bout de sa langue. Sauf que… Il a faim. Vraiment, vraiment faim. Et ses quelques pièces lui permettront d’acheter les biscuits bons marchés, mais c’est pas dit qu’il aura assez pour un gros paquet, c’est pas dit qu’il aurait assez mangé avec ce qu’il pourra acheter. Et c’est la faim qui le dicte, soudainement, parce qu’il met sa casquette sur sa tête, enfuit sa main qui tient ses pièces dans la poche de son sweat et hausse des épaules. Sauf que ça ne suffit pas, les gens civilisés parlent entre eux.

« J’veux bien, oui. » Même si se demande toujours pourquoi ce gars veut absolument lui donner un petit coup de main chaque fois qu’il le croise. Qui sait, c’est peut-être un trafiquant d’organes qui cherche à l’amadouer. Mais tant qu’ils restent en public, il ne risque rien, non ?  « T’as pas peur qu’il s’enfuît, un jour ? Ou qu’il ait peur d’un bruit et s’en aille en courant ? » demande-t-il alors, prêt à suivre Sunwoo mais n’ayant pas l’intention de le laisser choisir le sujet de la conversation. Il a toujours peur qu’il lui en demande trop, déjà qu’il connaît son vrai prénom. Manquerait plus qu’il cherche à savoir d’où il vient, pourquoi il traîne dans la rue… Si c’est quelqu’un de dangereux c’est toutes des informations qu’il pourrait utiliser contre lui. Raison aussi pour laquelle Do marche à ses côté en gardant un bon mètre de distance. Sait-on jamais.

sunwoo a juste le temps de remarquer que son vis-à-vis a plissé les yeux le temps de quelques secondes pour se rendre compte que sa proposition est un peu tirée par les cheveux. oui, cela peut paraître complètement anodin, les coïncidences qui s'alignent telles des planètes sur le même axe, le jeune homme devant le musicien doit en avoir connu des bien pires. ce qui doit pourtant sauver le garçon à la tignasse bleue, c'est son sourire, et le naturel dont il fait preuve pour convaincre son interlocuteur face à lui. et heureusement pour lui, la proposition un peu farfelue est acceptée presque à demi-mots. il peut alors tourner les talons quand il l'entend glisser son sac sur son dos et maintenir une certaine distance entre eux deux. ce comportement ne dérange pas le jeune homme pour autant, la confiance sera longue à gagner, mais il ne doute pas que la personne qui se cache derrière autant de problèmes et de misère est une bonne personne.

" tu parles de Cerbère ? " lui demande t-il en cherchant une confirmation avec un signe de la tête. sunwoo hausse les épaules, les mains toujours fixées à tenir son sac et éviter tout geste brusque. " il a été secouru d'un de ces élevages qui font naître des portées de chiens de race et qui les vendent pour les utiliser dans des combats illégaux d'animaux, alors tu sais... on va dire que j'essaye de lui offrir le meilleur foyer possible pour qu'il n'ait pas à s'enfuir ! pas vrai le monstre ? " la question est directement adressée à la grande boule de poils qui répond automatiquement à son maître avec un jappement joyeux. l'animal est bien dressé et reste toujours à côté de sunwoo ou bien juste devant lui, la bête est curieuse et aurait bien envie d'aller saluer tous les êtres humains qu'ils croisent jusqu'à arriver à ces fameux stands de nourriture.

" de toute façon, la technique pour ne pas effrayer un animal avec des bruits surprenants c'est de ne pas les emmener lors des feux d'artifices " l'observation du musicien est suivie de l'un de ses doigts qui tapote délicatement sa tempe avec un sourire en coin. " ça arrive encore trop souvent des gens qui pensent pouvoir se faire plaisir et en profiter pour sortir leurs chiens, alors que malheureusement ils les effraient plus qu'autre chose, j'en ai vu beaucoup au refuge que je vais aider de temps en temps.. " à ses mots, sunwoo ne peut se retenir de secouer doucement la tête. des gens pensent bien faire et en arrivent à perdre la confiance qui est établie avec leurs précieux animaux. " tu as déjà eu des animaux toi ? " Se surprend t-il alors à demander à son compagnon de la journée, c'est plus fort que lui.

La vie peut réserver des surprises. De bonnes, de mauvaises, peu importe. Cette année qui s’est écoulée a sans doute été la plus calme, ce qui semble étrange étant donné qu’il vit à la rue depuis près d’un an. Mais ne pas avoir le poids des attentes de ses parents sur ses épaules, ça change tout. C’est triste à dire, mais ça change tout.

Une des rares surprises qu’il a eu, cette année, c’est sans doute de rencontrer des gens bien. Qui veulent sincèrement aider, donner un petit coup de main que ce soit en lui achetant un sandwich ou en lui donnant quelques pièces. Des gestes insignifiants, à première vue. Et au fil des mois, il s’est rendu compte que la vie qu’il menait n’était pas seulement stressante mais profondément égoïste. Quand s’était-il arrêté une seule fois pour aider son prochain ? Pour offrir un peu d’argent ou une parole sympathique ? Jamais, voilà la réponse. Raison pour laquelle même en voyant des gens bien donner de leur temps, de leur argent, il reste méfiant.

Doyoung hoche positivement de la tête à la question de Sunwoo. Bien sûr qu’il parle du chien. Enfin, chien, la bête est quand même fort imposante et ce qui est certain, c’est que l’autre jeune homme ne doit jamais avoir peur de se promener la nuit à ses côté. Il faudrait être fou pour s’en prendre à lui vu l’animal. Sauf peut-être un soir de feu d’artifices. Do écoute attentivement ce que lui dit Sunwoo, sait-on jamais qu’il compte un jour avoir un chien lui aussi. Avant, ça ne lui avait jamais traversé l’esprit, maintenant...

« Non, quand j’en voulais un mes parents m’ont fait comprendre que ce serait une distraction inutile. Et par la suite, je n’aurais pas eu le temps de m’en occuper comme il faut. » Il parle avant de réfléchir, resserrant dans sa main la lanière de son sac à dos. « Il y a des chats dans certains coins qui aiment s’incruster dans les tentes. C’est sympa, parfois, quand ils ne déchiquètent pas un sac pour manger ce qu’il y a caché dedans. »

Les premières fois que ça lui était arrivé, il n’avait pas aimé, pas du tout. N’ayant jamais eu d’animaux... Mais c’est vrai qu’avoir un matou de coller contre soit quand on ferme les yeux, c’est un peu apaisant. Et suffit ensuite de cacher sa bouffe dans une boite en plastique.

« Tu dois en voir beaucoup, des animaux au refuge. J’en ai peut-être jamais eu mais je sais que la plupart des gens les voient comme des objets interchangeables. C’est assez amusant en vrai, les seules personnes que je connais qui préfèreraient perdre un rein que leur chien vivent dans la rue eux aussi.. Enfin, à part toi. »

Faudrait pas qu’il le vexe, par-dessus tout. Bon, c’est moche dit comme ça mais c’est quelqu’un qui veut bien l’aider, de temps en temps, pour des raisons qu’il ne comprend pas, certes, mais c’est pas pour ça qu’il va le chasser exprès en disant des bêtises.

sunwoo écoute les réponses qui lui viennent avec grande attention. il hoche la tête à certains moments, il peut parfaitement comprendre la distraction que peut causer un animal, de même que les craintes qui se soulèvent quant à la question de savoir si un humain est réellement capable de s'occuper d'un autre être vivant. ils avaient eu besoin d'un temps d'adaptation dans sa famille quand les Chae ont accueillis le doberman quelques mois après sa naissance, de même que de nombreux soucis s'étaient posés quand son paternel avait ramené les deux servals à la maison en croyant avoir apporté avec lui des chats normaux. quand doyoung lui parle de ses expériences avec les félins, le musicien ne peut retenir un petit sourire, tant l'histoire ressemble à de nombreux épisodes qu'il a eut l'occasion de vivre lui aussi.

la discussion prend une tournure un peu plus sérieuse quand le jeune homme évoque l'utilité que peuvent tirer certains humains avec les animaux. là encore, sunwoo hoche silencieusement la tête. la paire s'arrête au bout de la file d'attente d'un petit stand qui prépare des mets d’origine japonaise. le garçon profite de cet instant pour continuer la conversation en regardant directement à la fois son chien assit à côté de lui, et son interlocuteur.  " les animaux sont des charges, là dessus je ne peux pas le nier " commence t-il avec un petit sourire, presque désolé quand il pose son attention sur le doberman. " mais c'est une charge qui vaut la peine d'être supportée, parce que parfois les humains ont besoin des animaux, comme les chiens-guides, mais c'est aussi l'inverse, quand ce sont eux qui ont besoin de nous pour continuer à vivre et à être soignés. " aussi, pour appuyer ses propos, il tend la main vers le crâne de l'adorable bête pour lui adresser une caresse. caresse qui est rendue affectueusement par un grand coup de langue. " avoir appris à sauver cerbère et à lui redonner confiance en nous, les humains n'a pas été facile, loin de là, mais comme tu peux le voir, les résultats sont concluants, et ça, ça vaut tout l'or du monde. C'est un peu ma manière à moi de sensibiliser les gens autour de nous, du moins j'essaye de faire au mieux ! "

au cours de la discussion la file d'attente s'est bien réduite jusqu'à ce que la paire de jeunes hommes avec l'imposante boule de poils soient postés devant le stand. les yeux du musicien parcourent rapidement le menu affiché en se demandant quoi choisir. les odeurs le font presque saliver et il ne doute pas que le doberman à côté de lui souffre de la tentation également. il jette un coup d'oeil vers son partenaire qui a l'air d'avoir autant de mal que lui à se décider. " ça fait une éternité que j'ai pas mangé de takoyakis je crois que je vais me laisser tenter, tu veux quelque chose en particulier ? "